I. LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) représente l’institution nationale pour la promotion des droits de la personne au Canada. L’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme lui a conféré l’accréditation de « niveau A », d’abord en 1999, puis de nouveau en 2006, en 2011 et en 2016.
La CCDP a été créée par le Parlement en 1977 en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP)1. Elle a le vaste mandat de promouvoir et de protéger les droits de la personne. Conformément à la LCDP, la CCDP a compétence sur les ministères et organismes fédéraux, les sociétés d’État, les gouvernements des Premières Nations et les organisations du secteur privé sous réglementation fédérale.
La CCDP effectue également des vérifications de conformité en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE)2. L’objectif de la LEE est de parvenir à l’égalité en milieu de travail afin que personne ne se voie refuser des possibilités d’emploi ou des avantages sociaux pour des raisons non liées à la capacité, et de corriger les désavantages historiques en matière d’emploi subis par quatre groupes désignés, soit les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes racisées3.
En 2019, la CCDP s’est vu confier plusieurs nouvelles responsabilités en vertu de la Loi canadienne sur l’accessibilité, de la Loi sur l’équité salariale et de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement. La CCDP a également été désignée comme organisme responsable pour surveiller la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations Unies au sein du gouvernement du Canada, en conformité avec l’article 33.2 de la Convention.
Les efforts de la CCDP pour protéger et promouvoir les droits de la personne comprennent la médiation, les évaluations préliminaires ou les évaluations fondées sur le bien-fondé des plaintes de discrimination, la représentation de l’intérêt public dans le traitement des plaintes, la réalisation de recherches et l’élaboration de politiques, l’émission des déclarations publiques et le dépôt des rapports spéciaux au Parlement. La CCDP est déterminée à travailler avec le gouvernement du Canada et avec ses partenaires nationaux et internationaux, les intervenants et les titulaires de droits pour assurer des progrès continus dans la promotion des droits de la personne au Canada, y compris les droits inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (Déclaration des Nations Unies).
II. POSITION DE LA CCDP SUR LE PROJET DE LOI C-15
La CCDP est heureuse d’avoir l’occasion de formuler des commentaires sur le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (projet de loi C-15).
La CCDP appuie fermement l’adoption rapide du projet de loi C-15.
Les problèmes de droits de la personne auxquels font face les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont parmi les plus pressants au pays. La mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies, qui passe par l’adoption du projet de loi C-15 par le Parlement, représenterait une étape essentielle vers la promotion et la protection des droits des Autochtones au Canada. Cela témoignerait d’un engagement irrévocable pour faire progresser la réconciliation.
La CCDP appuie entièrement le point de vue exprimé par la Commission de vérité et réconciliation dans ses Principes pour la réconciliation, selon lequel la Déclaration des Nations Unies fournit le cadre de la réconciliation.
La Déclaration des Nations Unies est le fruit de décennies de revendication et de travail de la part des peuples autochtones du monde entier et représente un consensus international au sujet des « normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde » (article 43). Il s’agit d’une formulation et d’une affirmation solides, complètes et sans ambiguïté des droits inhérents des peuples autochtones. De plus, elle énonce les obligations des États à l’égard de ces droits et prévoit des mécanismes de réparation et de protection contre les violations de ces droits.
La CCDP reconnaît que le Canada a exprimé à maintes reprises son appui officiel à la Déclaration des Nations Unies, d’abord en 2010, puis en mai 2016 sans réserve, et plus récemment dans des lois comme la Loi sur les langues autochtones. Le projet de loi C-15 donne vie à cet appui et trace la voie vers une mise en œuvre complète.
La CCDP sait que les comités de la Chambre et du Sénat auront entendu de nombreux dirigeants autochtones et membres de communautés et d’organisations autochtones dans le cadre de l’examen de ce projet de loi. Nous reconnaissons respectueusement les idées et les recommandations qu’ils apportent à cette discussion essentielle sur la meilleure façon d’aller de l’avant avec ce projet de loi, et vers la pleine reconnaissance, la protection et la mise en œuvre des droits des Autochtones.
III. PRINCIPES CLÉS
a. Autodétermination et consentement libre, préalable et éclairé
Les droits de la personne des peuples autochtones, y compris le droit à l’autodétermination, sont indivisibles et interdépendants. Les droits collectifs des peuples autochtones et les droits individuels des Autochtones de tous les âges et les genres et ayant différents types de capacités ne seront adéquatement protégés et correctement satisfaits que lorsque les peuples autochtones seront en mesure de prendre leurs propres décisions par l’intermédiaire de leurs propres institutions et selon leurs propres valeurs et traditions. Le consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) est une application pratique importante du droit à l’autodétermination.
La Déclaration des Nations Unies est fondée sur la reconnaissance que les peuples autochtones ont subi la dépossession historique de terres, de territoires et de ressources à cause de la colonisation. Le consentement libre, préalable et éclairé aidera à faire en sorte que les droits des peuples autochtones ne soient pas érodés davantage et que les activités de développement, là où elles ont lieu, soient fondées sur de véritables partenariats et une égalité entre les États, les peuples autochtones et les industries.
La CCDP considère le CLPE comme un mécanisme permettant d’assurer en toute légalité la pleine participation des peuples autochtones à la prise des décisions qui les concernent. Le CLPE sous-tend la pleine réalisation d’un type différent de relation entre les peuples autochtones et l’État – une relation fondée sur le respect mutuel, l’égalité et l’équité dans une société juste et démocratique où les droits de la personne sont respectés.
b. Intersectionnalité
L’intersectionnalité fait référence au fait que certaines personnes peuvent être victimes de formes de discrimination complexes, multiples et qui se renforcent mutuellement. Par exemple, les femmes autochtones et les personnes 2ELGBTQQIA, ou les personnes handicapées autochtones peuvent subir des formes uniques de discrimination qui seraient mieux comprises en tenant compte des effets de tous les motifs en même temps. Une approche qui examine chacun des facteurs de discrimination séparément, ou qui ne fait qu’additionner chaque facteur, ne refléterait pas adéquatement ou convenablement la nature de la discrimination intersectionnelle, ni les expériences vécues par ces personnes.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît expressément les droits des aînés, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones et demande aux États, dans de nombreux articles, d’accorder une attention particulière à ces droits. La mise en œuvre du projet de loi C-15 doit s’accompagner d’une reconnaissance de l’importance d’une approche intersectionnelle et d’un engagement à appliquer une telle approche dans la mesure du possible.
IV. MISE EN ŒUVRE DU PROJET DE LOI C-15
L’élaboration du plan d’action décrit à l’article 5 du projet de loi nécessitera une approche intersectionnelle. La CCDP reconnaît que cet article précise que le plan d’action doit être élaboré en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones. La CCDP souhaite réitérer l’importance fondamentale de veiller à ce que les voix de tous les peuples autochtones, en tant que titulaires de droits, soient entendues et que le plan d’action reflète leurs réalités et leurs expériences et y réponde.
Les articles 18 et 19 de la Déclaration des Nations Unies affirment que les peuples autochtones ont le droit de participer aux processus décisionnels par l’entremise de représentants et d’institutions représentatives qu’ils choisissent eux-mêmes, et que l’État doit consulter ces représentants de bonne foi. Une consultation et une collaboration véritables seront essentielles à l’élaboration d’un plan d’action qui permettra la mise en œuvre complète et efficace de la Déclaration des Nations Unies. À cette fin, il sera essentiel de veiller à ce que les dirigeants, les groupes, les organisations et les autres représentants autochtones disposent des ressources nécessaires pour participer à chaque étape du processus d’élaboration du plan.
V. SURVEILLANCE DE LA DÉCLARATION DES NATIONS UNIES
La CCDP croit qu’il sera impératif de mettre en place des mécanismes de surveillance et de recours adéquats et appropriés pour s’assurer que le Canada respecte ses obligations en matière de droits des Autochtones et de droits de la personne, telles qu’elles sont énoncées dans la Déclaration des Nations Unies.
Nous reconnaissons que la surveillance de la Déclaration des Nations unies sera un élément essentiel à l’avenir. En tant qu’institution nationale des droits de la personne du Canada, la CCDP est bien placée pour contribuer à un régime rigoureux national et international de surveillance de la Déclaration des Nations Unies. La CCDP serait heureuse de discuter de son rôle dans tout régime de surveillance officiel, si telle est la volonté des peuples autochtones et du Parlement.
VI. CONCLUSION
L’adoption du projet de loi C-15 par le Parlement est d’une importance capitale. Il est tout aussi important que le gouvernement demeure inébranlable dans ses efforts pour s’attaquer à l’inégalité et à l’injustice historiques auxquelles sont confrontés les peuples autochtones au Canada. Il faudrait redoubler d’efforts pour mettre en œuvre tous les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues. L’approche du gouvernement en matière de négociation et de mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale exige une mise à jour importante fondée sur les droits. Il faut mettre fin au financement inéquitable des collectivités autochtones pour assurer un accès égal à de l’eau potable, à des logements convenables, à l’éducation, aux soins de santé et aux services à l’enfance et à la famille. En outre, il faut s’attaquer à la surreprésentation alarmante des Autochtones dans le système de justice pénale du Canada.
Depuis des générations, les peuples autochtones réclament la reconnaissance de leur droit inhérent à l’autodétermination et la pleine réalisation de tous leurs droits fondamentaux. Il est temps d’aller vers l’avant. La mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones au Canada est en retard depuis longtemps. La CCDP se joint à la multitude de voix qui réclament l’adoption rapide du projet de loi C-15 au Parlement.